
Le médiateur peut jouer un rôle clé dans le « vivre ensemble ». C’est un facilitateur en communication qui favorise l’acceptation des différences et le compromis. Par son action, il contribue à instaurer une culture de coopération et de responsabilité, essentielle pour une société plus pacifique et équitable. Sa posture, avant d’être celle à adopter pour exercer son activité, est une philosophie de vie en tentant de rester au quotidien cohérent et en adéquation avec des valeurs fortes telles que le respect et la justice (pour lui ou elle-même, autrui et son environnement) ; avec également l’approche humaniste de cette activité et bien sûr avec son code déontologique. On ne devient pas médiateur par hasard : c’est une démarche, un cheminement qui passe par un travail introspectif qui invite à réfléchir sur son héritage familial, à explorer l’origine de ses croyances, à apprendre à se familiariser avec ses sentiments et ses émotions. C’est par ailleurs sur le postulat de la confiance en la capacité des humains à se respecter (eux-mêmes et autrui), à se comprendre et à se responsabiliser qu’un médiateur aborde les individus.

Dans une société où le rythme effréné, la compétition, et l’omniprésence des écrans façonnent nos vies, où le paraître est essentiel et l’authenticité une excentricité, la charge mentale devient un sujet prédominant. Dans ce contexte, la pression des jugements sociaux déstabilise souvent nos valeurs et notre bien-être. Probablement une quête de reconnaissance, qui, bien que naturelle, nous conduit parfois à négliger nos émotions, jugées faibles ou inappropriées. Pourtant, comprendre et gérer ces ressentis, reste un défi, surtout dans une situation où la communication est impulsive et déconnectée des véritables besoins émotionnels. Ces différents facteurs nous invitent à nous poser des questions sur la fiabilité de notre grille de lecture dans nos interactions. Les médias se sont d’ailleurs beaucoup intéressés ces dernières décennies au thème des émotions, en corrélation avec ceux de l’estime de soi et de la confiance en soi, car il semblerait que ces compétences fassent défaut à une majorité d’entre nous, et ce, tous milieux et âges confondus. Comment pourrions-nous déjouer cette étonnante défaillance ? En réponse à ce besoin, des précurseurs en pédagogies alternatives (comme Montessori, Freinet ou Steiner) ont proposé dès le début du 20e siècle des méthodes propices à un apprentissage et à un épanouissement personnel pouvant pallier ces défaillances. Malheureusement, les coûts et la complexité pour fusionner ces méthodes avec le système éducatif existant, ainsi que, il faut bien le dire, la résistance institutionnelle, n’ont pas permis le déploiement de ces approches innovantes sur notre territoire.

Pourtant différentes recherches en thérapie comportementale et cognitive (cf. Aaron T. Beck, Jeffrey Young, ou bien encore John Bowlby) ont démontré que c’est durant l’enfance que le schéma de pensée d’un individu se met en place. Il serait donc pertinent d'inculquer, dès le plus jeune âge, des notions telles que la coopération, le partage, l'inclusivité, l'égalité et le respect de la diversité culturelle, ainsi que la gestion des émotions, et ce, tout au long de la période d'éducation et d'apprentissage (comme initié par les approches alternatives préalablement citées). Ces aptitudes sont d’utilité publique pour la vie en communauté et sont sans doute au moins aussi importantes que l’apprentissage des mathématiques ou du français. Nous avons tout à gagner à intégrer et développer des programmes éducatifs et sociaux-émotionnels axés sur la coopération et la gestion des conflits, sur l’ouverture d’esprit et les compétences interpersonnelles. Nos institutions françaises, sensibilisées sur le sujet, ont d’ailleurs mis un grand nombre d’initiatives en place afin de promouvoir des valeurs de respect, de dialogue et de responsabilité parmi les élèves et les équipes pédagogiques. Leur vocation étant de réduire la violence scolaire et de favoriser la coopération entre tous les acteurs d’établissements. C’est une avancée non négligeable vers un mieux vivre ensemble qui est à saluer. Ces dispositifs restent cependant encore trop peu généralisés : ce sont souvent les collèges et les lycées des zones sensibles qui ont un besoin urgent d’apaiser des tensions, qui y ont recours. Les écoles primaires qui en bénéficient sont, quant à elles, très minoritaires. Pourtant l’implémentation de ces initiatives dans les établissements concernés s’avère efficace. Les bienfaits en sont incontestables. On constate à très court terme une réduction des comportements agressifs, une amélioration du climat scolaire pour tous les acteurs, une évolution des compétences émotionnelles et une motivation scolaire accrue. A moyen terme, on remarque une réussite scolaire et sociale influencées de façon durable. Les étudiants ayant développé une intelligence émotionnelle et relationnelle se montrent davantage coopératifs et naviguent plus aisément dans des situations sociales complexes. Ils gèrent mieux le stress, les frustrations et les désaccords. Ils abordent de plus les préjugés avec plus de circonspection, réduisant ainsi les risques d’exclusion sociale. Des aptitudes précieuses pour la vie en société : en effet, devenus adultes, ces profils aptes à la collaboration et socialement responsables, abordent la vie et ses difficultés avec bienveillance et tolérance, et influencent positivement leurs environnements. C’est le constat que font les Pays Bas, la Finlande, le Canada et quelques autres encore, qui sont parvenus à généraliser ces programmes dans leur curriculum scolaire.

En tant que médiatrice, outillée pour faciliter la communication, prévenir et gérer les conflits, je foisonne d’idées pour participer au développement de programmes pédagogiques adaptés au milieu scolaire primaire et développer l’intelligence collective de façon ludique. A titre d’exemple la coopération et la résolution de problèmes peuvent être stimulés au travers de jeux interactifs permettant de prendre conscience des enjeux relationnels tout en s’amusant. Des jeux de rôles et des mises en situation sont susceptibles de mettre en lumière les différentes façons de faire et d’être, et familiarisent les enfants avec les ressentis qui émergent durant les exercices. Expérimenter des situations conflictuelles sous forme de jeux, les prépare à vivre des épisodes déstabilisants dans leur vie. A partir de scénarios de discorde on peut proposer aux enfants de défendre une position dans un premier temps, puis son contraire dans un second temps. C’est en faisant l’expérience de l’adversité que les enfants pourront aborder les désaccords de façon plus subtile et bienveillante et accueillir les différents points de vue sous un angle nouveau. Des supports pédagogiques tels que des jeux de cartes émotionnelles aident à nommer et comprendre les émotions et à en parler. Instaurer des cercles d’écoute et de parole est toujours bienvenue pour bien des raisons : ils renforcent les liens communautaires en permettant de mieux se connaître et d’être compris (dans l’esprit des « cercles restauratifs »). Ce sont en outre des temps propices à l’apprentissage de la communication non violente (CNV). Inciter les élèves à définir et à co-créer les règles de vie de la classe et de l'école les invite à se sentir en charge de leur mise en application et encourage le respect mutuel et la coopération. Sans oublier l’incontournable procédé qui a déjà fait ses preuves et qui va de pair avec ces initiatives : choisir des élèves volontaires et les former aux techniques de médiation afin de les autonomiser dans les situations complexes. L’ensemble de ces expériences permet de développer des compétences interpersonnelles et l’écoute active. Organiser des moments de médiation en libre participation avec un adulte médiateur serait un plus. Un rendez-vous mensuel par exemple au moment du goûter pour permettre aux élèves de venir discuter de leurs ressentis et de leurs différends. La qualité du cadre et des formes proposées pour toutes ces actions sont primordiaux pour créer un climat de confiance et le bon déroulement de ces expérimentations.

Comme l'ont montré de nombreuses recherches et initiatives, en mettant ces atouts à la portée de nos enfants (les citoyens de demain), les défis du quotidien auxquels font face les élèves et les enseignants, ainsi que l’enrichissement personnel et communautaire ne peuvent que s’améliorer. C’est le chemin vers un environnement scolaire plus respectueux, propice à l’enseignement et au développement personnel permettant à chacun d’être davantage disponible à l’apprentissage. Dans ce contexte, les médiateurs peuvent jouer un rôle important. Leur expertise peut être un levier puissant pour accompagner le changement et sensibiliser les acteurs éducatifs aux enjeux de l'autogestion et de la co-régulation. Gratifiés de leur volonté d’acter pour le changement, les médiateurs peuvent travailler de concert avec l’éducation nationale pour la mise en œuvre de programmes permettant de cultiver les compétences essentielles au développement de l’intelligence émotionnelle et des compétences sociales. L’approche éducative d’aujourd’hui serait en effet à actualiser en valorisant les aptitudes émotionnelles et relationnelles autant que les savoirs académiques. C’est en valorisant les perspectives personnelles des enfants, en respectant leur autonomie et en les plaçant au centre de leur propre apprentissage qu’une mutation serait possible (dans la veine de l’approche centrée sur la personne de Carl Rogers chère aux accompagnants : «chaque individu a en lui des capacités considérables de se comprendre, de changer l’idée qu’il a de lui-même, de changer ses attitudes de base et de trouver un comportement autonome, pourvu que lui soit assuré un climat d’attitudes facilitatrices que l’on peut déterminer » cf. Counseling and Psychotherapy 1942). En plaçant les enfants au centre de leur apprentissage, en les responsabilisant et en leur offrant des outils pour comprendre et gérer leurs émotions, nous pouvons contribuer à façonner un avenir plus respectueux et collaboratif. C'est ainsi que, pas à pas, la tolérance et la coopération pourraient devenir les fondements de chaque interaction.
L'enjeu est immense, mais en unissant nos efforts, nous pouvons enrichir notre système éducatif pour qu'il devienne un véritable lieu d’épanouissement personnel et collectif, propice à la construction de citoyens pleinement conscients de leur rôle dans la société. Agissons ensemble, pour l'avenir de nos enfants et celui de notre société.

Références académiques :
Le programme PATHS (Promoting Alternative Thinking Strategies), Greenberg, M. T., Domitrovich, C. E., & Bumbarger, B. K. (2001). The effects of the PATHS curriculum on the social and emotional development of children.
La communication non violente (CNV) et la résolution de conflits, Rosenberg, M. B. (2003). Non violent Communication: A Language of Life.
La médiation par les pairs (Peer Mediation), Maiese, M. (2003). Peer Mediation: A strategy for improving school safety.
Les cercles restauratifs (Restorative Circles),Morrison, B., & Vaandering, D. (2012). Restorative justice and the school community: Building a positive school climate.
L'intelligence émotionnelle et la gestion des conflits chez les enfants, Goleman, D. (1995). Emotional Intelligence: Why It Can Matter More Than IQ.
L’impact des programmes de développement socio-émotionnel sur les comportements scolaires, Durlak, J. A., Domitrovich, C. E., Weissberg, R. P., & Gullotta, T. P. (2015). The Impact of Enhancing Students' Social and Emotional Learning: A Meta-Analysis of School-Based Universal Interventions.
La prévention de la violence scolaire à travers l’éducation à la paix, Zins, J. E., & Elias, M. J. (2007). Social and Emotional Learning: Promoting the Development of All Students.
L'impact des programmes de médiation scolaire sur la réduction de la violence, Smith, P. K., & Sharp, S. (1994). School Bullying: Insights and Perspectives.
La prévention de l’intimidation et l’intervention précoce, Olweus, D. (1993). Bullying at School: What We Know and What We Can Do.
Les bienfaits de la collaboration en classe pour résoudre les conflits, Johnson, D. W., & Johnson, F. P. (2005). Joining Together: Group Theory and Group Skills.
Carole Dalleau
Médiateure, Facilitatrice chez Espace 3E
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