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Photo du rédacteurBernard Dubois

Le conflit, menace ou opportunité ?

Dernière mise à jour : 13 déc. 2021


Loin de moi l’idée de renforcer les invitations à intérioriser et à faire porter sur l’individu des difficultés qui relèvent du groupe. Bien des causes mériteraient d’être davantage défendues au risque du conflit tout en veillant à ce que ce conflit ne participe pas au maintien de la situation. Mais bien des conflits ne sont pas toujours adressés à de juste cause ou à la bonne personne. Il convient alors de se questionner sur les raisons de ce conflit. A l’occasion des entretiens préparatoires et avec l’accord de la personne, nous pouvons alors lui permettre de réfléchir sur sa relation au conflit.


L’autre nous tend un miroir (plus ou moins déformant). C’est plus ou moins agréable. Parfois, cela nous confirme dans l’idée que nous nous faisons de nous, parfois cela nous confronte à des parties de nous-mêmes qui nous sont encore inconnues ou que nous ne souhaitons pas reconnaître. En cela, tout conflit est d’abord vécu comme une menace pour notre intégrité psychologique (et parfois physique).


« L’autre est un autre nous-même mais il est autre » nous disait Levinas. Dans ce qui nous appartient et que nous mettons chez l’autre, il y a ce que nous projetons sur l’autre (stéréotype, présupposé, simplification, amalgame, …) et parmi cela ce qui nous est propre comme des facettes de notre personnalité (projections). :« C’est çui-là qui dit qui l’est » disent les enfants. Parfois, ce sont des figures de notre histoire familiale ou personnelle qui s’invitent, l’autre est alors pris pour un autre (transfert).


L’autre, n’est plus alors que le support nécessaire à la réactivation de nos histoires, de nos blessures, de nos frustrations ou bien de nos aspirations ou nos désirs. Il peut ainsi incarner nos zones d’ombre, ce que nous n’osons pas, nous dérange ou tenons soigneusement à distance. Ainsi, certains vont jusqu’à dire que nous n’avons de conflit qu’avec nous-même ou que pour traverser un conflit, il faut oser se confronter à soi-même. Mais ne pouvons-nous pas aussi considérer le conflit comme une opportunité, une tentative de réparation ou d’évolution ?

La résolution d’un conflit peut parfois se suffire d’un compromis ou d’un accord obtenu à l’issue d’une négociation, d’une conciliation ou d’une décision de justice. Tout comme un conflit qui s’inscrit dans la durée, cette solution constitue parfois un « bon » moyen de ne pas changer le système de relations établi entre les différentes personnes.


Cependant la dissolution du conflit, c’est-à-dire l’apaisement des tensions, le rétablissement d’une communication et d’une relation constructive nécessite une plus grande compréhension de ce qui fait problème pour soi dans la relation avec l’autre. La remise en question de ses préférences comportementales voire de ses croyances constitue dès lors un préalable avant de pouvoir aborder et reconnaître l’autre dans sa singularité et sa différence.


Aller à la rencontre de l’autre, c’est d’abord aller à la rencontre de soi ; mais se connaître c’est aussi se déprendre :


La célèbre injonction du temple de Delphes « Connais-toi toi-même et tu connaîtras Dieu et l’Univers » que Socrate a rendu célèbre est source de malentendus. Dans notre époque où l’individu et la psychologie ont pris une place prépondérante, nombreux considèrent qu’il s’agit d’une invitation à connaître son identité « profonde ». Mais d’autres la considère comme une invitation à connaitre sa nature profonde. Les premiers chercheront à affirmer leurs spécificités, les seconds à trouver ce qu’elles masquent. Dans les deux cas, nous aurons à repérer et à comprendre nos comportements préférentiels, systèmes de croyances et valeurs. Mais là où les premiers chercheront à s’affirmer, les seconds auront à cœur de se relier.


La célèbre injonction du temple de Delphes « Connais-toi toi-même et tu connaîtras Dieu et l’Univers » que Socrate a rendu célèbre est source de malentendus. Dans notre époque où l’individu et la psychologie ont pris une place prépondérante, nombreux considèrent qu’il s’agit d’une invitation à connaître son identité « profonde ». Mais d’autres la considère comme une invitation à connaitre sa nature profonde. Les premiers chercheront à affirmer leurs spécificités, les seconds à trouver ce qu’elles masquent. Dans les deux cas, nous aurons à repérer et à comprendre nos comportements préférentiels, systèmes de croyances et valeurs. Mais là où les premiers chercheront à s’affirmer, les seconds auront à cœur de se relier.


Comment faire d’une menace, une opportunité ?


1. Prendre de la distance, devenir son propre sujet d’observation :

  • Que s’est-il passé ou que se passe-t-il concrètement ?

  • Quels en sont les effets pour moi, pour l’autre, pour la relation ?

  • Pourquoi cela m’arrive-t-il maintenant avec lui ou avec elle ?

  • Quels sont les biais de perceptions ou cognitifs qui font que je vois la situation sous tel angle et qu’est-ce que je ne vois pas ? Nous avons chacun une carte du monde, même si nous avons le sentiment que nous avons tous la même, elle nous est propre. Elle nous permet de nous repérer, d’agir et d’interagir mais cette carte du monde n’est pas le monde et parfois, lorsque les cartes des autres sont trop différentes de la nôtre nous ne parvenons plus à cohabiter.

  • Qu’est-ce que la situation, mes réactions, ma façon de voir les choses et le jugement que je porte sur tout cela peut m’apprendre de ce qui est important pour moi, de ce que je cherche à défendre ou à promouvoir ?


2. Identifier ce à quoi nous nous identifions

Identité a pour origine « idem » (l’identique). Peut-être que « nous ne communiquons que pour être confirmé » ? (Watslawick). Que nous ne reconnaissons l’autre que dans la mesure où lui-même nous confirme dans notre identité ? Nos besoins psychologiques font que chacun tente de tenir ensemble toutes ses sous-personnalités afin d’en faire un tout cohérent ; cela lui permet de dire « je suis ceci » ou « je ne suis pas comme ça ». Conscient de la fragilité de cet édifice, tout conflit est alors perçu comme une menace car nous prêtons à l’autre le pouvoir de le faire vaciller. Or, paradoxalement, c’est parce que nous sommes conscients de nos vulnérabilités, que nous pouvons nous renforcer : c’est par les prises de conscience qu’elles provoquent, que les circonstances nous invitent parfois à assouplir certains traits de caractère, élargir le champ des possibles pour avoir des réponses plus adaptées aux situations ou aux personnes. Quelques questions peuvent nous y aider :

  • Quelles sont les influences que nous avons reçues par notre héritage culturel, notre éducation, notre patrimoine génétique ?

  • ·Quelles sont les loyautés conscientes ou pas envers nos parents, figures d’autorité auxquelles nous tenons à rester fidèle (conditions sociales, place dans la famille ou dans la vie, rôle, manière de penser ou de se comporter, …) ?

  • ·Quelles sont les valeurs (souvent croyances affectives) et les autres croyances (principes) que nous mobilisons ?

  • ·Quelles sont les préférences comportementales, compétences, automatismes que nous mobilisons d’ordinaires ou en situations de stress ?

  • Bien les connaitre nous permettrait de repérer nos limites du moment ou nos atouts.

3. Oser le sentiment de responsabilité :

Pour certains philosophes existentialistes (Sartre en étant la figure de proue), condamné à la liberté, nous serions par nos choix responsables en totalité de tout ce qui advient. En effet, si nous ne faisons pas tout notre possible pour changer une situation, nous en devenons responsables. Si cette idée ne nous est pas facilement acceptable, nous pouvons a minima admettre dans une situation donnée, par exemple un conflit, que :

  • cela nous arrive à nous,

  • la manière dont nous vivons ce qui nous arrive nous appartient,

  • nous avons un rôle déterminant dans la façon dont la situation peut évoluer


4. S’actualiser :

Mes manières de faire préférentielles résultent des expériences : elles ont été jusqu’à présent les meilleures réponses que j’ai su trouver pour faire face à ma peur de l’isolement et interagir avec les autres. Elles m’ont permis de répondre à des besoins fondamentaux (se sentir utile, compétent, appartenir à un groupe, être apprécié pour ce que j’apporte. (Cf. Élément humain de SCHUTZ…). Elles nous sont donc précieuses et il est utile de bien les connaître afin de repérer tout ce qu’elles nous permettent. Mais aussi tout ce qu’elles empêchent car le conflit nous montre que d’autres manières de faire sont à développer pour améliorer nos interactions. Ce que nous appelons les défauts de nos qualités. Pour exemple, une personne ayant le souci d’un travail parfaitement exécuté sera appréciée pour sa fiabilité et son excellence ou son expertise. Mais dans un environnement devenu incertain, nécessitant une grande réactivité, cette compétence peut s’avérer inadéquate. Cette difficulté d’adaptation deviendra alors source de tensions dans les relations, avec l’entourage et aussi pour la personne elle-même qui souhaitera maintenir cette façon de faire à laquelle elle s’est identifiée tout en aspirant à conserver de bonnes relations.


Déconstruire ce pour quoi (pour qui) nous nous prenions : pour pouvoir se saisir de la façon la plus objective et complète de ce qui se passe dans la situation pour moi et pour l’autre, je dois désapprendre ce que je crois en connaitre et compléter ma vision du monde en faisant appel à d’autres références (autres grilles de lecture, d’autres façons de voir ou de faire, …).


5. Redevenir auteur :


Parfois le conflit est devenu une manière d’être ou de faire ; il convient alors de s’interroger sur la place prise par le conflit dans notre vie. Mais le plus souvent, par le média qu’est l’autre, le conflit a pour fonction de nous empêcher de faire encore plus de la même chose. Dans l’exemple ci-dessus, si la personne cherche à maintenir son mode de fonctionnement, elle ne pourra plus respecter les délais ou risquera le burnout.


C’est alors le bon moment pour s’interroger sur nos besoins réels (en deçà de ceux que nous avons fait nôtre et que nous avons reçu par l’éducation voire les manipulations). Veiller à ne pas les confondre avec nos désirs lorsqu’il s’agit de désir mimétique (lorsque nous désirons le désir de l’autre, ce que la société de consommation nous pousse à faire ou vouloir). Selon Spinoza, le besoin premier serait celui de la persévérance de soi ; Bergson parlait d’élan vital ; Freud de libido ; Schopenhauer parlait de volonté ; Nietzsche d’une volonté de puissance. Bref, tous parlent d’une pulsion créatrice qui aurait pour intention de nous permettre d’être nous-même avec authenticité, spontanéité. Pour parvenir à cette félicité, pour accéder à cet être (Ipse), nous aurions à observer et discerner avec entêtement le vrai du faux semblant. Pour Sartre, nous n’aurions d’autres choix que d’écrire notre propre partition. Mais nous avons besoin d’un autre pour nous révéler à nous-même et être en lien avec les autres (auxquels nous serions liés dans notre substance pour Spinoza) car nous sommes des êtres en construction, en devenir constant.


En cela, le conflit serait à vivre comme une réelle opportunité de gagner en connaissance de soi et en liberté vis-à-vis de nous-même. « Il y a péril en la demeure » : la sagesse populaire nous recommande de ne pas demeurer (sauf à devenir demeurés), en se confrontant à nous même, en nous faisant sortir de nos gonds, l’autre nous permet de nous reconsidérer, de changer et d’accéder à notre singularité mais il appartient à chacun de choisir ce qu’il en fait !

Admettre que si le conflit est le plus souvent redouté ou mal vécu, c’est bien parce qu’il constitue une menace pour nos mécanismes de défense ou nos identités. Mais l’admettre et parvenir à supporter cet inconfort psychologique rendent alors possible, grâce aux prises de conscience ou apprentissage qui en résulte, d’en faire une opportunité. Celle de mettre en œuvre la parole de Paul Ricoeur : « Le plus court chemin de soi vers soi passe par autrui ».


Bernard Dubois

Espace 3E






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